Code : Golden Darkness

Maintenant qu'elle y était, Ykalli n'allait pas partir aussi vite, elle avait bien l'intention de faire le tour des villes.
Mirnia, Jour de marché.
Les rues et les places étaient envahies par les étales de fruits, de légumes, de vêtements et autres marchandises.
Elle avait laissé sa cape toute abimée chez un couturier afin qu'il la répare et se baladait à travers admirant chaque comptoir.
Ses cheveux blonds flottaient librement alors qu'elle sautillait. Ses bottines noires ne faisaient aucun bruit et elle se déplacait avec les courants d'airs. La couleur de ses yeux, qui étaient devenus rouges bordeaux, ne faisaient fuir personne ici, car certains venaient de l'autre bout du monde.

-Approchez, Approchez !

Ykalli se retourna, attirée par l'odeur qui se dégagait d'un stand de nourriture. Elle se pencha et regarda se qui cuisait sur la plaque. On aurait dit de gros pain en forme de poisson, mais cela ne sentait pas du tout le poisson ! Tous les gens qui s'était arrêtés, restaient éberlués par cette nouvelle découverte.

- C'est bon ?
- Eh bien, jeune fille, c'est mon chef-d'oeuvre !
- Et comment ça s'appelle ?
- Je ne sais pas encore ... dit le vendeur géné
- Je vais en prendre un paquet.
- Merci jeune fille, tu ne seras pas deçue !

Emportant le paquet tout chaud avec elle. Elle plongea sa main à l'intérieur et croqua dans le pain.

- Délichieux !

La bouche encore pleine, elle se dirigea vers le stand d'en face.
Des colliers brillant de mille feux, resplendisaient sur l'étale.

- Tient ça t'intéresse, jeune demoiselle ?
- Euh ... je regarde...
- Que penses-tu de celui-ci ou encore celui-là ?

Malgré tout ce que le vendeur lui proposait, elle refusait.

- Attends un peu ! Il fouilla dans un sac et lui sortit un collier à la corde marron avec un plume noir et une pierre d'ambre. Ykalli admirait cette chose qui semblait l'avoir envoutée.

- Je te présente "Golden Darkness", qu'en pense-tu ?
- C'est magnifique ! Je le prends
- Je te l'offres si tu me donne quelques pains que tu viens d'acheter, ça te va ?
- Marché conclus !

Toute heureuse de cette nouvelle trouvaille, elle recommenca a déambuler dans les rues lorsqu'on freina sa course en lui tirant les cheveux. Elle se retourna... Personne !
Puis reprenant sa route, elle remarqua qu'une personne familière avait la main dans son paquet, un pain à la bouche !

Bien décidé à retrouver Ykalli, du moins c’était le nom qui était inscrit sur le poignard qu’elle avait égaré lors de leur rencontre, à Nirn, Orkin avait suivit la piste de la jeune fille à travers la forêt, en se basant sur les témoignages des voyageurs, et aux moyens des techniques de pistage des Chasseurs. Cette route l’avait mené à Mirnia, la ville commerciale à la lisière de la forêt, à la frontière entre le troisième et le huitième royaume. Il commençait à restreindre sa soif de sang, réfléchissant à ce qu’Ykalli lui avait dit quelques semaines auparavant :

* Les armes sont faites avec les sentiments de celui qui les a créées…*

Lui n’avait connu que la peur et la haine, et ensuite la vengeance et le sang. Ses armes, celle qu’il connaissait par cœur et avec lesquelles il ne faisait plus qu’un, qui avaient pris tant de vies… Elles étaient donc les incarnations de la haine ? Bref, il s’était donc quelque peu calmé, bien qu’il eut fait une petite victime – un pauvre garde-forestier, et en plus il l’avait cherché, si, si !

Son état était assez piteux : son manteau était quelque peu brûlé ça et là – conséquence d’un piège destiné à Ykalli qui s’était enfuie quelques secondes avant l’explosion -, alors qu’il marchait d’un air monotone et indifférent le long des rues bondées de Mirnia, en plein marché. En observant les passants il s’aperçut que tout Guilduiss était réunit ici : aussi bien des teints bronzés que des teints pâles, noirs, ou encore jaunes. Il remarqua aussi les particularités vestimentaires de régions lointaines, comme les habits multicolores où dominaient le jaune, le bleu et le rouge, d’une marchande de fruits. Il ne s’intéressait pas aux étals et aux cris des commerçants qui vantaient leurs produits, de toute façon il n’avait presque pas d’argent, et il ne l’utilisait que pour se nourrir.

Alors qu’il s’était retiré sur un coin de la route pavée – et après avoir lancé un regard meurtrier à un cavalier qui avait manqué de le piétiner -, il s’arrêta un moment et ressortit le couteau que l’ombre de Nirn avait égaré. C’était une petite arme, repliable comme un canif, mais en plus gros, avec un manche en bois noirci – probablement du pin – et une lame fine et aiguisée, bien qu’ayant perdu l’éclat du métal fraichement travaillé. Sur le manche étaient gravés des signes divers et variés, surement destinés à la décoration plutôt qu’à être décrits, et parmi ces gravures, en longueur, un nom :

Ykalli

Comme il examinait la lame du poignard, un éclair jaune le fit cligner des yeux. Regardant attentivement le métal clair, il aperçut un reflet blond, et, sachant de quoi il s’agissait, se retourna précipitamment et suivit à distance la chevelure blonde à travers le marché. Alors qu’il n’était plus qu’à quelques centimètres d’elle, quelqu’un passa un peu trop rapidement et le bouscula violemment, avant de disparaître dans la foule. En essayant de rétablir son équilibre pour ne pas tomber, Orkin passa sans le faire exprès sa main dans les cheveux de la jeune fille, qui se retourna aussitôt. C’était bien elle, avec ses yeux rouges, bien que plutôt bordeaux à ce moment là. Elle mangeait une espèce de pain étrange et tenait un paquet. Il aperçut aussi un beau pendentif autour de son cou, une pierre marron, de l’ambre, et une plume noire pendant au bout. Etrangement, elle semblait ne pas l’avoir vu.

Décidant cette fois de l’aborder sans risques – eh oui c’était pas trop le moment ni le lieu pour déclencher une bagarre – il glissa discrètement la main dans son paquet, en ressorti un de ces petits pains étranges à l’allure de poisson et à l’odeur inconnue. Ykalli le remarqua et tourna brusquement la tête vers lui.

- Euh… Chalut cha va ?dit-il alors qu’il mâchait un morceau de pain – pas mauvais il fallait dire.
Il avala, puis il détacha le long canif de sa ceinture, l’ouvrit et montra le manche à la jeune fille, la face où figurait le prénom tournée vers elle.

- Il me semble que c’est à toi, Ykalli.

Il baissa la voix.

- Je pense que tu as compris que je ne t’ai pas suivie pendant des semaines à travers la Grande Forêt pour simplement me mesurer à toi comme la dernière fois.

Orkin se tenait devant elle :

- Euh… Chalut cha va ?

Elle le regarda d'un air de dire : "Ah, c'est toi !"
L'atmosphère avait totalement changée même si on ne pouvait pas la qualifier d'amicale. Il avala ce qu'il avait dans la bouche et lui tendit un couteau. Le sien !
Elle réfléchis deux secondes et se rendit compte qu'elle l'avait oublié lors de leur dernière "rencontre". Quelle cruche !

- Il me semble que c’est à toi, Ykalli.

Elle reprit ce qu'il lui appartenait, le rangea discretement. Il baissa le ton et annonca ce pour quoi il était revenu.

- Je pense que tu as compris que je ne t’ai pas suivie pendant des semaines à travers la Grande Forêt pour simplement me mesurer à toi comme la dernière fois.

"A parce qu'en plus c'était juste pour ça, quel gamin !" Elle soupira et le tira par la manche pour l'emmener hors de la foule.
Elle le lacha et se retourna.

- Tu vois, la première question qui me viens à l'esprit c'est pourquoi ?
Elle chiffona son paquet vide et le jeta. Orkin restait de marbre. Il n'était même pas sur ses gardes... bizarre, pourtant la posture qu'elle prenait était quelque peu insolente.

- La deuxième est qu'est-ce que tu attends de moi ? De l'aide ? Des réponses ?

Il semblait perdu dans ses pensées.

- Je vois, tu es le genre de type qui croit que tout peut se règler par la vengance, j'ai tort ?
Cette question avait l'air de l'énerver. "Ah ça y est il réagit"
- Je suis curieuse mais je ne remue pas le couteau dans la plaie, chacun a ses souvenirs bons ou mauvais.

Elle lui fit volte-face et sembla à son tour perdue dans sa mémoire. Ses souvenirs resurgissaient alors un par un ... Papa, Maman ... Grand Frère...
Vu qu'elle ne bougeait plus, Orkin s'approcha.
Elle fit un bond en arrière les yeux dans le vide, comme si elle se réveillait d'un long cauchemard.
Elle reprit ses esprits et baissa les yeux.

- Pardon ...

- Tu vois, la première question qui me vient à l'esprit c'est pourquoi ?

Elle l’avait tiré hors de la foule, dans une petite ruelle sombre et déserte. Pourquoi est-ce qu’il l’avait suivie ? Il en voulait à son secret. Il voulait connaître son histoire, son passé, car nombre de légendes tournaient autour de l’ombre de Nirn. C’était sa seule piste, le seul moyen d’arriver à ses fins, un chemin à suivre pour remonter jusqu’à Julnia’Yrii, et pourquoi pas… Less’Kilerr ? Mais c’était aussi un bon moyen de ne pas vivre comme un fantôme, d’avoir quelque chose de plus intéressant à faire que de se terrer dans les bois. Mais il décida de ne pas répondre. Elle le découvrirait bien un jour, c’est pourquoi il se contentait de la fixer en attendant la suite.

- La deuxième est qu'est-ce que tu attends de moi ? De l'aide ? Des réponses ?

Les deux à vrai dire. Elle avait un ton agressif, mais il doutait qu’elle tente de l’attaquer pour le moment. Qu’est-ce que cette gamine apparemment banale pouvait bien cacher…

- Je vois, tu es le genre de type qui croit que tout peut se régler par la vengeance, j'ai tort ?

*Quoi ? * pensa-t-il, avec un air énervé

Il venait de se trahir lui-même… pas vraiment le genre d’erreur que commettent les chasseurs d’ombre. Par réflexe, il avait mis la main à sa ceinture garnie de fioles et de lames.

- Je suis curieuse mais je ne remue pas le couteau dans la plaie, chacun a ses souvenirs bons ou mauvais.

Sur ce, elle se retourna et ne dit plus un mot. Orkin se détendit et fit quelques pas vers elle, curieux de savoir à quoi elle pensait. Peut être qu’elle essayait de trouver un moyen de dissimuler le secret tant convoité ? Peut être, ou peut être pas.

Soudain, Ykalli se retourna brusquement et fit un grand bon en arrière, comme pour se protéger. A moins qu’elle ne lise dans les pensées, elle ne pouvait pas connaître ses intentions. Elle secoua la tête, comme si elle revenait à la réalité, et baissa les yeux.

- Pardon ...

- Pardon ?

Cette fille s’excusait. Des excuses humbles… Pourquoi ? Il n’en avait aucune idée. Mais… elle lui faisait – il n’aurait pas pu dire comment – réfléchir à une réalité dérangeante…

- Qu’est ce qui se passe ? Quelque chose ne va pas ?

Ou bien… C’était étrange… Elle l’avait peut être attiré dans un piège ! Sans attendre, il détacha une fiole de sa ceinture, ainsi qu’un fin poignard, et se retourna, cherchant de tous côtés un assaillant. D’un rapide coup d’œil, il lu les inscriptions sur la fiole. Un alcalin… parfait en cas de danger.

Au bout d’une minute environ, rein ne se produisit, et Ykalli était toujours là, le regard au sol. Sans baisser sa garde, Orkin se retourna vers elle.

- Je peux savoir où est passée l’ombre de Nirn qui a fait la terreur des habitants de la capitale ? Hein ?

Son ton était agressif. Il devait vérifier quelque chose. Il avait déjà remarqué le pendentif qu’elle portait autour du cou, qu’elle n’avait pas la dernière fois. Même s’il s’agissait d’un collier tout à fait banal, Orkin en était très intrigué. Or, lorsqu’elle s’était énervée contre lui, il lui avait semblé apercevoir quelque chose d’anormal émanant de la jeune fille, bien qu’il n’ait su dire quoi. Cette pierre d’ambre et cette plume, il s’en méfiait grandement, et profita de l’occasion pour confirmer ses hypothèses selon lesquelles ce pendentif ne lui était pas inconnu.

- Alors, gamine, ça se dégonfle là dedans ? Tu vas encore nous jouer les grands esprits c’est ça ?

Il ne savait pas pourquoi, mais quelque part, ces paroles lui faisaient mal, alors qu’il n’aurait eu en temps normal aucun scrupule à les prononcer. Mais il devait continuer et en être sur. Ce pendentif était dangereux. Prêt à utiliser ses armes en cas de besoin, il continua avec un rictus amer.

- Et tes yeux ? Tu te crois peut-être menaçante ? Arrête, le rose n’a jamais tué personne ! Tu te crois supérieure, unique c’est ça ? Indifférente à ce qui se passe dans le monde ? Oh, mais comme c’est touchant… à côté de ça on repense à papa maman ?

…Touché. Il avait semblait-il trouvé le point sensible, et il allait être fixé. Mais en parallèle… il se sentait étrangement mal, comme si… comme s’il se sentait coupable de quelque chose. Pourtant cela ne lui était jamais arrivé au cours de sa vie… Pendant un moment il abaissa sa garde, à réfléchir à ce que signifiait ce nouveau sentiment.

Ykalli avait toujours la tête baissée et restait statique :

- Qu’est ce qui se passe ? Quelque chose ne va pas ?
Il s'inquiète lui ? C'est nouveau ça ! Elle voulait parler mais elle ne put répondre.
Il s'était approché mais s'est tout de suite retourné.

- Je peux savoir où est passée l’ombre de Nirn qui a fait la terreur des habitants de la capitale ? Hein ?
En quoi ça te regarde ? Elle ne bougeait plus, elle était paralysée.
Elle ne pensait plus, ne parlait plus.

- Alors, gamine, ça se dégonfle là dedans ? Tu vas encore nous jouer les grands esprits c’est ça ?
Mais tu vas te la fermer, oui ? Elle était totalement perdue, déchirée entre ses pensées et sa haine envers Orkin.
Elle criait en elle-même : Tais-toi! Tais-toi! Tais-toi!

- Et tes yeux ? Tu te crois peut-être menaçante ? Arrête, le rose n’a jamais tué personne ! Tu te crois supérieure, unique c’est ça ? Indifférente à ce qui se passe dans le monde ? Oh, mais comme c’est touchant… à côté de ça on repense à papa maman ?

-TAIS-TOI !!

Elle se redressa net. L'atmosphère changea subitement. Elle devint lourde et pesante, plaquant Orkin à terre de son poids. Il leva tout de même les yeux vers Ykalli.
Le collier brillait de plus en plus, la plume enveloppa totalement Ykalli d'une brume noire. Ses yeux brillèrent alors à travers l'épais brouillard. Ils étaient encore plus rouges et terrifiants qu'à Nirn.
Ses longs cheveux blonds marquèrent alors une silouhette d'adulte.

-Insecte...
Sa voix avait également changé. Plus de doute possible, ce collier de pacotille était le véritable "Golden Darkness". Ce collier maléfique révèle la vrai nature de leur propriétaire, sa véritable forme, les sentiments qu'il cache au plus profond de lui même ou encore ses caractères seconds. Il est dit qu'il se déclenche dès qu'il détecte la manifestation d'un sentiment de haine.
En l'occurence, Ykalli utilisait, peut-être contre sa volonté, la technique de "Transform" qui permet à celui qui l'utilise de matérialiser son corps selon son envie. Voilà pourquoi, son apparence était celui d'une gamine.
Il semblait n'avoir plus d'espoir pour Orkin de revoir ni l'ombre de Nirn ni celle qu'il avait rencontré un peu plus tôt au marché. Elle semblait s'être envolée. Mais qui est la vrai dans ce cas ?

Après ce laps, où le temps semblait s'être arrêté, Ykalli s'approcha de lui.
Elle le prit par le col et l'envoya ballader. Orkin était affalé par terre, son corps avait tapé contre un arbre. Elle revint de nouveau vers lui.

- Pourriture... Qui es-tu pour parler du passé ?

- TAIS-TOI !!!

Ykalli s’était retournée vers Orkin et l’avait sorti de sa rêverie sur ce qu’on appelle la « culpabilité » - c’est bien cette chose que l’on ressent quand on a fait du « mal » ? Il l’avait sa réponse. Le collier était effectivement très dangereux. On ressentait dans l’atmosphère toute sa haine canalisée contre lui. Il savait parfaitement ce à quoi il s’exposait - sinon il ne se serait pas risqué à réveiller le pouvoir du pendentif. L’atmosphère changea brutalement. C’était comme si la pression de l’air avait tout à coup augmenté, et Orkin sentit un poids inconnu peser sur ses épaules. Il s’affaissa, jusqu’à se retrouver à genoux. Essayant de lutter, en vain, il leva la tête vers Ykalli qui le foudroyait de ses yeux rouges à travers la brume. Maintenant qu’il était fixé, il voulait connaître toutes les facultés du collier, alors il attendait… Si jamais le danger devenait trop important, il ajouterait de l’eau au lithium ou au potassium, de quoi renverser la balance de son côté.

- Alors, la suite ? C’est tout ?

S’il poussait le pouvoir du pendentif à l’extrême, non seulement il connaitrait l’étendue des risques qu’il court, mais il saurait également comment se défendre… s’il survivait bien sûr, mais il ne se faisait guère de souci là-dessus, depuis longtemps il avait appris à craindre certaines choses plus que la mort. Il observa attentivement Ykalli, de façon à déceler une faille. Rien, si ce n’était que sa silhouette était à présent celle d’une adulte.

- Insecte…

*Plus la même voix ? Corps d’adulte ? Alors il fait aussi vieillir ce bibelot ?*

Ne perdant pas de temps, Orkin sortit une petite fiole vide en verre qu’il cacha dans son dos, après avoir ôté le bouchon avec les dents. Ykalli s’approcha alors de lui, et le souleva par le col.

*Force décuplée…*

Il soutenait facilement son regard avec ses yeux gris – ce n’était pas vraiment la couleur des yeux qui suscitait la crainte chez lui. Tandis qu’elle le fixait, il profita de son inattention pour plonger la fiole dans le nuage noir qui l’enveloppait, et en une fraction de seconde le reboucha et le cacha.

D’un seul coup elle le jeta en l’air, comme s’il n’était pas plus lourd qu’une vulgaire caillasse. Il fut projeté avec une force phénoménale contre un arbre à plusieurs mètres de là. Sa nuque et sa colonne vertébrale frappèrent violemment le tronc, et en se ressaisissant il s’aperçut qu’il avait perdu des fioles. Tandis que l’air commença lentement à le plaquer contre le tronc de l’arbre – mais qu’est ce qu’il venait faire ici cet arbre ? Qui aurait eu l’idée d’en planter un dans une ruelle toute sombre ?! - il porta son attention non pas sur Ykalli qui se rapprochait de lui mais sur les contenus des fioles qui s’étaient brisées en tombant. De l’une d’elles s’écoulait une espèce de poudre. Il aurait peut être pu encore s’amuser avec elle et par la même occasion en apprendre d’avantage sur le collier, mais l’occasion était trop belle et il mourrait d’envie du beau feu d’artifice pour illuminer cette sombre petite ruelle. Comme pris d’une illumination, il ramassa le premier caillou qui lui passa sous la main. En fait, il se trouvait que la poudre en question n’était autre que du potassium… autrement dit un gaz alcalin – bon ok plus simple : un élément, qui comme tous ceux de sa famille, réagit extrêmement violemment avec l’eau.

Il observa les branchages de l’arbre… qui recouvraient tel un parasol un espace allant jusqu’à la tête d’Ykalli qui se rapprochait de plus en plus, et donc le petit tas formé par la poudre qui se trouvait un tout petit peu après elle. Or, c’était le matin, il y avait donc de la rosée. D’un geste rapide il jeta la pierre en l’air, en direction du feuillage. Ykalli lui lança entre temps :

- Pourriture... Qui es-tu pour parler du passé ?

Lorsqu’elle remarqua le lancer, qui passa non loin de son visage, elle esquissa un sourire cruel. Il lui rendit alors son sourire.

*Non mais quelle cruche, tu crois vraiment que c’est toi que j’ai visé ?*

Il y eut un bruit de froissement de feuilles, la pierre retombait plus loin. Il avait pensé juste. Les fines gouttelettes éclatantes tombèrent vers le sol. Elle paraissait tomber lentement, tandis qu’il sentait entendait même son cœur battre. Retenant son souffle, il se plaqua lui-même contre l’arbre, attendant le contact… Les gouttes n’étaient plus qu’à quelques centimètres de la poudre… cinquante centimètres… deux centimètres ? Ah… ça y est…

*Boooouuuuum !!!*
Ykalli se réveilla en sursaut, elle avait affreusement mal à la tête, un temps de réaction pour s'apercevoir qu'elle était dans un lit.
Elle regarda dehors, il faisait nuit mais quelqu'un sifflait une mélodie triste dans le brouillard.
Pendant un instant, elle était persuadée de n'être pas au bon endroit, elle n'était pas ici, n'est-ce pas ?
Elle se leva difficilement, mais tomba à peine debout.
Soudain quelqu'un apparut à sa fenêtre, la tête à l'envers.

- Mais qu'est-ce que tu fabriques ?

La mélodie avait cessé, alors c'est cette personne qui la chantait ?
Cette voix lui semblait familiaire mais elle n'arrivait pas se souvenir.

- Allez monte ! Il lui tendait la main.

Mais où voulait-il l'emmener ? Elle commenca à tendre sa main vers la sienne, quand elle ressentit une atroce douleur au ventre comme si on lui foutait des coups. Puis une autre voix lui tortura l'esprit.

- T'es franchement qu'une pauvre idiote ! Si tu ... manipulée par ça, tu vaux pas mieux que ...

Ca lui faisait mal, trop mal, elle en pleurait. Alors qu'elle était recrovillée par terre, la personne qui semblait la connaitre s'approcha, la pris et l'emmena sur le toit de la maison.
Il n'y avait plus de brouillard, le ciel était piqué d'étoiles.

- Magnifique, t'en penses quoi ?
A la lueur de la lune, elle put enfin distinguer le visage de cette personne.
Impossible ! son frère ! Mais ... Mais elle, enfin il et eux ...
Sa douleur recommenca à la faire souffrir, elle se prenait la tête entre ses mains pour essayer de l'arreter.
Puis elle s'apperçut que son bras était en sang.

- Alalala mais où est-ce que t'as pu te faire un truc pareil ?
- Ca te regarde pas !

Il banda son bras.
- Merci ...

Elle ferma les yeux et laissa la brise nocturne lui frôler le visage.
Ils sont tous là... et je suis avec eux. Elle sourit, soulagée.
Alors ce n'était qu'un simple cauchemard ?

- Ykalli, reprends-toi ... putain de m ... argh.
Mais sors de ma tête !
- Il faut que tu redevienne normale, tu m'entends ?! Aïe !
Laisse moi où je suis, pitié, ne me le prends pas !
- Ykalliii ?! T'es une chasseuse d'ombres oui ou non ? ... argh mais c'est qu'elle va me tuer !
Elle eut un déclic. Elle se leva.

- Ykalli ? Ca va pas ?
- Tu n'es pas ...
- Je ne suis pas quoi ?
- TU N'ES PAS REEL ! Tout comme ce lieu, vous n'êtes qu'une imitation de mes souvenirs !!!!

Elle se retrouva dans une lumière blanche puis plus rien ....
Lorsqu'elle rouvrit les yeux, sa tête était contre le sol et ses yeux était remplis de larmes. Elle se leva, tout son corps était couvert d'égratinures plus ou moins profondes.
Elle regarda autour d'elle, elle était dans une clairière près d'un village. Et elle aperçut ensuite, ... Orkin affalé contre un arbre, tenant son ventre qui saignait. Il la regarda affichant un sourire victorieux.

- J'ai gagné ...

Après quelques secondes Orkin reprit connaissance. Il était toujours affalé contre son arbre, mais celui-ci n’était plus planté dans le sol de dalles de la ruelle sombre dans laquelle ils étaient… il se trouvait en plein milieu d’une vaste prairie. Comment il était arrivé là ? Il se le demandait bien. Le ciel était nuageux, alors qu’il était clair quelques minutes auparavant.

Il balaya les alentours du regard, sans trouver aucune trace d’Ykalli. Il rêvait ou quoi ? Il se trouvait téléporté ici d’un seul coup, et son adversaire avait disparue. Il se releva. En tout cas, l’explosion avait bien eu lieu, vu le mal de crâne qu’il avait. Il y avait autour des débris de verre, des cendres et de petites volutes de fumée. Il fit quelques pas, et, croyant tout cela irréel, se donna une violente gifle. Non, il ne rêvait pas. Il était couvert d’égratignures, mais rien de bien important.

L’explosion avait été violente, puisqu’il avait perdu connaissance. En temps normal il aurait fait sauter moins de poudre, histoire de rester conscient, car cela aurait très bien pu lui être fatal. Mais il en revint à sa situation… Où avait bien pu passer Ykalli ? C’était encore une faculté de son collier, ça ? En somme il pouvait vous faire vieillir de plusieurs années, décupler votre force, et en plus vous téléporter ? Il était bien trop dangereux, et c’était comme si le pendentif avait totalement pris possession d’Ykalli, qu’il était personnifié par une autre facette de la jeune fille…

- Y’a quelqu’un ?!

Rien. Pas une réponse, pas un écho. Il n’y avait que cet arbre au milieu de l’herbe courte. Alors qu’il examinait le tronc, il distingua quelque chose qui semblait être soudain apparu. La ville, au loin, mais pas si éloignée, avec la forêt à l’Est. Ça avait l’air d’être Mirnia. Alors il se dirigea vers la cité qui semblait plus proche chaque seconde, quand soudain il entendit un bruissement dans l’herbe. Par réflexe il se retourna… Trop tard.

Il avait juste eu le temps de reconnaître les yeux rouges et menaçants avant de recevoir un violent coup qui le projeta à terre. Il leva les yeux vers elle, qui s’approchait de lui.

- Mais d’où tu sors, toi ?

- Crève !

D’un bond il se releva, et détacha une petite chaine de sa ceinture, au bout de laquelle pendait une fine lame extrêmement aiguisée.

- Un autre jour peut-être…

Il passa le bout de la chaine, semblable à une bague, à son majeur, et s’élança sur Ykalli. Il faisait tournoyer la lame dans les airs, essayant de ne pas viser la tête, tout en esquivant difficilement les coups portés par Ykalli. Il lui semblait qu’il était parvenu à lui entailler la joue, mais il n’était pas sur, avec toute cette fumée noire qui émanait d’elle. D’un seul coup, elle fit un mouvement de revers qu’il reçut dans le tibia. Il senti une très vive douleur, et en essayant de se rétablir, il tomba à terre. Pendant ce temps, elle s’approchait rapidement de lui. Rapidement, il sortit une multitude de bâtons de fer noirs, munis d’une goupille à l’extrémité.

- Et de un…

Il arracha la goupille de la première chandelle avec les dents et la pointa droit sur Ykalli. Il y eut une étincelle et aussitôt une véritable déflagration qui s’abattit sur Ykalli, la propulsant à plusieurs mètres de là. Il se releva péniblement, déchira une de ses manches et à l’aide de celle-ci attacha le tube vide de la chandelle de long de sa jambe, de façon à ce qu’elle puisse supporter son poids. Evidemment, Ykalli était toujours debout devant lui, et ne semblait pas avoir trop souffert de la boule de feu de la chandelle (il faut dire que si c’est une arme impressionnante, elle est loin d’être une des plus puissantes). Prêt à poursuivre, il dégaina une dague, trois fioles, et une petite pierre grise.

- Cette fois, voyons si c’est la bonne…

- Espèce d’enfoiré…

Il lança d’abord les trois fioles droit sur Ykalli, qui d’un mouvement étonnement rapide et précis les brisa toutes les trois dans l’élan. Deux explosèrent en de petits nuages de fumée, tandis que la dernière tomba plus loin, vide. Vide, car il avait fait exprès d’enlever le bouchon. En effet les deux premières fioles contenaient un mélange se transformant aussitôt en gaz épais au contact de l’air, parfait pour une diversion. Mais la troisième contenait la poudre d’un métal rare et précieux, qui sous forme de grains est extrêmement sensible à tout type de chaleur et devient donc hautement inflammable. En enlevant le bouchon, les grains s’étaient éparpillés sur le sol entre les deux adversaires, jusqu’à Ykalli sur qui s’étaient déposés de la poudre après qu’elle ait brisé la fiole. Même si les grains sont distants de quelques centimètres les uns des autres, ils possèdent chacun un champ magnétique très puissant, si bien que la chaleur peut se transmettre d’un grain à un autre, et couvrir de longues distances, jusqu’à l’embrasement total.

- Tu ne comprends donc pas que tes joujoux sont inutiles ?!

- Pas sûr.

Il s’accroupit, et d’un mouvement bref et rapide, frotta la lame de la dague contre la pierre qu’il tenait dans son autre main. Une étincelle jaillit. A ce moment là, ce fut comme un petit feu d’artifice, mais au sol. Des centaines d’étincelles apparurent par terre, comme sautillant à toute vitesse d’un grain à un autre. Ykalli, l’air perplexe, se demandant ce qu’elle avait raté, regardait les petites lumières qui crépitaient foncer droit sur elle. Tout à coup, le crépitement se transforma en sifflement, et ce fut le brasier. Orkin entendit un cri de surprise au milieu des flammes fluorescentes, et courut droit sur Ykalli. Bien sûr les flammes n’allaient pas la tuer, elle y avait survécu deux fois sans égratignure, mais cette fois il s’en servait comme diversion.

Dès qu’il aperçut la brume noire sortir des flammes (cette brume noire qui semblait pouvoir les éteindre), il se jeta lui-même au feu, et assena plusieurs coups à Ykalli. Bien-sûr il se brûla, mais ce fut de courte durée car l’aura noire avait bientôt finit d’éteindre le feu. Au bout du compte, il parvint à la projeter plus loin, après lui avoir infligé des coups au ventre. Il était temps maintenant qu’elle redevienne normale, il connaissait l’étendue du pouvoir du collier.

- T'es franchement qu'une pauvre idiote ! Si tu te laisse gentiment manipuler par ça, tu vaux pas mieux que moi, t’entends ?!

Cela sembla l’avoir déstabilisée. Alors Orkin voulut en profiter pour porter le coup de grâce, mais il fut retenu par quelque chose… Quelque chose d’inhabituel. Comme un appel. Un appel de détresse, venant de très loin, très loin dans son esprit. Quelqu’un pleurait. La personne était bien, là où elle était, et il la tourmentait. Il comprit qu’il devait s’agir d’Ykalli elle-même, ou plutôt sa « bonne » moitié. Alors il s’en voulut mortellement, il s’en voulut d’avoir dis cela, il s’en voulu d’avoir fais tout cela, il s’en voulu d’avoir survécu et de continuer à vivre en toute impunité. Tous ces visages suppliants, terrifiés, mais morts, il les revoyait dans sa tête, puis revinrent les pleurs suppliants qui ne le lâchaient plus. C’était ça, ce qu’on appelle le remord ? Il n’eut pas le temps d’y réfléchir plus longtemps, car on lui cisaillait déjà l’abdomen à coup de couteau. Ykalli, bien que blessée, était revenue à la charge. Mais il se laissa faire, il senti la lame froide lui déchirer l’intérieur mais ne bougea pas, l’ayant mille fois mérité. Devant son absence de réaction, elle sembla stupéfaite, et finalement retira la lame de son corps avant de l’envoyer dans le décor.

Il se releva à nouveau, et alors, revoyant les yeux rougeoyants de la jeune fille, il se reprit en main aussitôt. Il allait lui montrer… Du sang, il en fallait encore un peu plus. Elle fonça alors sur lui et c’est sans rechigner qu’il se lança lui aussi dans la bataille.

- Ykalli, reprends-toi voire là, putain de m ... argh. Il faut que tu redeviennes normale, tu m’entends ?! Aie ! Ykali ! T’es une chasseuse d’ombre oui ou non ? …Argh mais c’est qu’elle va me tuer !

Ils échangèrent et esquivèrent nombre de coups, et Orkin prit enfin le dessus sur elle, et la fit basculer par terre, alors que cette ombre noire étrange le projetait contre l’arbre, avant de disparaître. Cette place n’était pas si male, finalement.

Ce collier était vraiment coriace… Il saignait vraiment beaucoup, il faudrait qu’il soigne tout ça. Mais il reporta son attention sur Ykalli qui s’était relevée. Elle avait retrouvé son apparence normale, et avait les yeux bouffis par les pleurs. Il poussa un long soupir de soulagement.

- J'ai gagné ...

Il sentit quelques gouttes, dans le ciel il y avait de gros nuages gris gorgés d’eau, et il se mit à pleuvoir en trombe. Il se laissa tomber contre le tronc, la main sur son ventre qui saignait, et il s’endormit aussitôt, exténué par le combat.

Ykalli se releva avec peine, tous ces muscles l'a faisait attrocement souffir. Elle toucha sa tête et remarqua que ses mains étaient couvertes de sang... non ce n'était pas le sien. Elle regarda à nouveau Orkin comme pour s'assurer qu'elle rêvait encore et fit le rapprochement. Elle l'avait frappé à mort. Mais c'est impossible non ? Comment ? Pourquoi ? Elle ne se souvenant de rien, de rien du tout. Elle retomba à genoux la tête entre les mains, essayant de se souvenir, oubliant tout ce qui se passait autour d'elle. La pluie commença à tomber...
Viens ...
Il faut que tu redeviennes normale, tu m’entends ?! Aie ! Ykali ! T’es une chasseuse d’ombre oui ou non ? …Argh mais c’est qu’elle va me tuer !

Les yeux vides levés au ciel, le visage ruisselant d'eau.
-Mais qu'est-ce que j'ai fais ?

Elle courru ensuite vers Orkin.
Celui-ci était déjà bien loin... Elle arracha ce qu'elle pouvait de ses habits en loques et essaya de faire un semblant de bandage.
Puis elle scruta autour d'elle cherchant son sac, elle l'aperçut au loin. Elle se releva et courru le chercher et traina Orkin à l'abris.

Entre-temps, Orkin était revenu à lui.
Ykalli sortit tout ce qu'elle possédait en médicaments et désinfecta ses plaies.
- Ouch, tu pourrais être plus délicate, tu sais ?
Surprise elle releva la tête.
- Quoi ? Tu pourrais dire merci aussi.
Il lui montra le collier qu'il lui avait arraché.
Des larmes lui montèrent au yeux.
- Ah non, tu pleures maintenant ?
- Non Idiot, c'est des gouttes de pluie.
- La pluie, hein ?
Il eut un sourire amusé et se surpris lui-même de ce geste.

Desormais il était allongé sur un futon près d'un feu, à l'abris de la raffale extérieur et Ykalli dormait sur le côté serrant tout contre elle, le collier.

Lui, n'arrivait pas à dormir et se retrouva perdu dans ses pensées.
Pourquoi tenait-elle tant à le garder après le pouvoir qu'il lui avait developpé ? Qui était "la version adulte d'Ykalli" ? Quel est le rapport avec son passé ?

- Stop ! Arrêtez ! Aaaaaaaaahhhh !

Ses cris devaient porter à plusieurs kilomètres malgré l’épaisseur des murs. La prison dans la forêt était d’un de ces bastions dont on ne s’imagine même pas quoi trouver à l’intérieur.

C’était de loin la forteresse la plus effrayante de Guilduiss. Au cœur d’une forêt plus noire que le charbon, où le brouillard règne en maître, qu’il soit midi ou minuit. On ne fait d’ailleurs pas la différence : pas un rayon ne pénètre les sous bois, la nuit y est permanente. Nul ne peut dire quelles créatures se tapissent dans ce paysage lugubre, errant au milieu des troncs plantés si régulièrement, comme si la forêt elle-même voulait vous perdre. C’est en quelque sorte le cas : la forêt pense. L’impératrice la contrôle, cependant, comme si elle faisait partie d’elle-même. L’âme de la forêt est meurtrière : ne vous imaginez surtout pas cette nature pleine de vie où de petits enfants peuvent jouer dans l’herbe verte, ou cueillir des fleurs, pendant que les lapins et les daims gambadent entre les arbres… Ce stéréotype est stupide. La nature est cruelle, et l’a toujours été. Elle ne fait pas de cadeau. Si elle fait fleurir, c’est pour mieux faire faner. Tous les êtres qui semblent ne faire qu’un avec elle finissent par lui succomber, non seulement les animaux, mais aussi les arbres, les fleurs, les hommes. Si la nature peut faire le cadeau inestimable de la vie, elle en reste le tyran incontesté.

Au centre se trouvait le terrifiant édifice de pierres gigantesques et noirâtres. On ne pouvait pas en décrire la forme, car peu importait le point de vue la seule partie visible du bâtiment était le mur, qui montait verticalement jusqu’à la cime des arbres. La porte, titanesque, était faite de métal gris foncé terne, et paraissait peser plus lourd que la plus haute des montagnes. A l’intérieur les couloirs se succédaient sans fin dans un perpétuel labyrinthe éclairé par des néons (une découverte récente) interminables. Ca et là une lourde porte verrouillée, rien de plus. Toujours le même son : les cris provenant des salles de torture. Eh oui, ce bastion restait tout de même une prison…

- Non… Oh, non, pas encore… Non ! Aaaah !

La séance de torture qui attendait quotidiennement Orkin. Ces hommes masqués semblaient préférer le coup du métal chauffé à blanc dans une plaie ouverte. Ces cons étaient bien décidés à ne pas le tuer. Ils y allaient d’abord à la dague ou au sabre, ça dépendait des moyens. Une jolie plaie toute belle, parfois dans le dos, parfois sur l’abdomen, plus rarement sur les bras et le torse. Ensuite ils sortaient leur espèce de truc bouillant. Cette saloperie ne s’éteignait jamais ! Ils exécutaient toujours leur besogne de la même façon. Il sentait la pointe de métal brûlant s’enfoncer de plusieurs centimètres dans sa chair à vif.

- Pitié !!! Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhhhh !! Stop, ça suff… Aaaah !

Il croyait mourir chaque jour. Mais malgré tout ce qu’il pouvait supplier, ça n’arrivait jamais. Il en chiala pendant près de deux mois, ensuite il fut à cours de larmes. Après la chaleur abominable, on lui réservait l’épreuve de la chambre froide… Des heures et des heures enfermé dans un espace clos et glacé, plus froid que n’importe quel bloc de glace. Ce truc là était encore plus pénible que le fer bouillant, même s’il ne sortait pas le corps couvert de marques laissées par le métal chauffé à blanc. Seul et à moitié dénudé (bah oui sinon c’est moins drôle), il voyait la mort venir lentement, pendant que tout son corps s’engourdissait et le faisait atrocement souffrir, et lorsqu’elle allait enfin le toucher, la porte s’ouvrait et on le sortait. Il paraît d’ailleurs que le mort par hypothermie est l’une des plus horribles qui soit.

Une fois par mois, il avait une visite. Ce foutu contrôle médical… Il s’en souvenait comme si c’était hier, de la première visite.

- Sa Majesté l’Impératrice a eu la clémence de vous laisser la vie sauve, c’est pourquoi je m’efforce de maintenir votre état de santé à un niveau tout à fait correct, vous n’avez aucune raison de vous inquiéter.

Ce toubib’ là n’était plus jamais revenu, après qu’il ait manqué de se faire étrangler.

Il avait déjà aperçu l’autre conasse d’impératrice… A la première séance. Il paraît qu’elle fait ça avec tous les nouveaux bagnards. Elle vient assister à un divertissement, il lui en faut bien, elle doit s’ennuyer la pauvre !

Trois ans… Trois ans revécus en une minute, en une heure, en une journée peut être ? Peu importait : trois ans vécus une nouvelle fois.

Orkin sortit de son sommeil brusquement, trempé de sueurs froides. Il était allongé sur quelque chose de dur. Du bois. Son angoisse s’estompa à la vue du feu crépitant dans l’âtre. Où est-ce qu’il était ? Ykalli était là, agenouillée, fouillant dans son sac. Pas de brume noire… Bon signe. Il examina plus attentivement la pièce. Elle était délabrée, les poutres de bois rongées par les termites soutenaient difficilement le toit. La pièce n’était pas très grande et avait une seule issue, une porte fermée par un verrou. Le sol était fait de planches de bois, un parquet grossier. Une unique fenêtre était condamnée par des barres de métal et un volet grinçant au dehors, là où le vent rugissait et la pluie s’abattait en trombes. Il se sentait bien, ici, près de la chaleur et loin du froid.

Alors qu’Ykalli remarquait qu’il était réveillé, il se redressa, tout engourdi. Son corps était couvert de bandages. Non loin il y avait un vieux chiffon humide et rouge. Il la regarda. Elle l’avait soigné ? Elle avait même épongé le sang ? Il peinait à y croire mais se fit une raison.

Sans un mot elle commença à enlever ses bandages et désinfecter ses plaies au moyen de toutes sortes de produits qu’elle venait de sortir de son sac. Elle avait l’air tourmentée. Pas étonnant, après tout ce qu’elle avait vécu… Il décida de la taquiner pour lui remonter le moral.

- Ouch, tu pourrais être plus délicate, tu sais ?

Elle leva la tête vers lui avec un air surpris, mais ne dit rien.

- Quoi ? Tu pourrais dire merci aussi.

Elle le regardait avec des yeux ronds, et il distingua des cernes sous ceux-ci. Elle était exténuée, après toutes les prouesses physiques que son corps avait effectuées (même si elle ne s’en était pas rendu compte). Puis il se souvint de quelque chose.

- Ah, au fait…

Il se pencha vers son manteau, posé par terre, et chercha dans la poche. Il en ressortit le mystérieux pendentif à la pierre d’ambre qu’il avait pu lui arracher et le lui tendit. Aussitôt le collier sous son nez, ses yeux se mirent à briller et une larme coula le long de sa joue.

- Ah non, tu pleures, maintenant ?

- Non, idiot, c’est des gouttes de pluie.

- La pluie, hein ?

Elle essuya ses larmes et détourna son regard. Il se souvint de ce qu’il avait ressenti peu avant qu’elle ne redevienne elle-même. Elle avait l’air… d’être à deux endroits à la fois ! A la fois présente, et à la fois loin, si loin.

- Il faut que tu m’explique.

Elle avait un air piteux, ce qui l’acheva également.

- Enfin… Il faudra.

Quelques minutes plus tard ils étaient tous les deux allongés. Il faisait nuit dehors et le vent soufflait en rafales. Lui était tourné vers l’âtre, le regard vague scrutant les flammes à la recherche de quelque chose d’invisible et d’indéfinissable. Il se posait un tas de questions, mais il attendrait qu’Ykalli se soit reposée. Il regarda ses bandages. Elle lui avait peut-être sauvé la vie. Après tout ce qu’il avait fait. Elle aurait pu tout simplement le laisser mourir. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Il ne pouvait le nier, il commençait à avoir de l’affection pour elle.

Il se redressa alors et se tourna vers elle. Ykalli dormait profondément, couchée sur le côté avec le pendentif dans les mains. Ce collier. Ce n’était pas un hasard s’il était tombé entre ses mains, à elle et pas à quelqu’un d’autre. Il se souvint alors de quelque chose. Il prit son manteau et fouilla les poches, rien. Rien non plus sur sa ceinture. Ah, voilà. Il sortit de la poche de sa chemise abimée, posée sur le côté, une fiole toute noire. Il passa un bon quart d’heure à la contempler, cette étrange brume noire qui n’avait pas disparue malgré que l’effet du pendentif ait cessé.

Il réfléchit toute la nuit, ne trouvant pas le sommeil. Il était venu pour trouver des réponses. Il s’intéressait au passé de la chasseuse d’ombres. Peut être qu’en ça il s’était fourré dans une affaire dangereuse. Intéressante aussi. Il lui semblait que ce qu’il voulait savoir, il l’apprenait de jour en jour, comme si ce qu’il convoitait n’avait pas encore eu lieu… Voilà qu’il se retrouvait… ami ? Possible. « Ami » avec celle dont il voulait se servir. La recherche d’un sens à sa vie de fantôme l’avait lié à quelque chose. Il avait quelque chose à faire à présent, quelque chose de plus ou moins concret, mais quelque chose. Tout tournait à présent autour d’Ykalli et du pendentif.

A son réveil, le lendemain matin, Ykalli avait toujours cet air triste, bien qu’elle soit à présent reposée. Il lui laissa le temps de se réveiller complètement puis lui posa la première question qui lui venait à l’esprit.

- Pourquoi ?

Devant son absence de réaction, il poursuivit.

- Tu aurais très bien pu me laisser crever contre mon arbre.

Il sentit sa gorge se nouer.

- Après… ce que je t’ai fait.

… Il ne pouvait rien dire de plus. Il allait se racheter. Peut être n’était-il pas perdu, en fin de compte. Et il allait commencer maintenant.

- Je… Je suis…

Il tomba à genoux, le regard au sol.

- Je suis désolé.

Malgré toutes les questions qu'il lui posait, elle restait fermée, incapable de répondre. Elle réfléchissait, ou du moins elle essayait de réfléchir.
Elle se rendait compte de certaines choses, sans vraiment les comprendre et aussi des souvenirs qui lui semblait loins, oubliés, faux ?
Elle faisait les choses machinalement, lorsqu'elle remarqua la fiole que tenait Orkin. Ca venait du collier, non ?
Elle détourna son attention de cet objet qui lui semblait étrangement familier. La nuit passa sans qu'elle dise un mot.

Au matin, Orkin essaya de lui parler à nouveau.
- Pourquoi ?

Elle aurait voulu répondre mais elle ne savait pas non plus pourquoi.

- Tu aurais très bien pu me laisser crever contre mon arbre.

Non, elle ne pouvait pas faire ça, même si son travail la forçait à voir la mort en continu.

- Après… ce que je t’ai fait.

Qu..oi ?
- Je… Je suis…

C'est ...
- Je suis désolé.

... Une excuse ?

*clap* Elle le giffla, se dressa et cria d'un coup :
- T'es qu'une espèce d'idiot !! Si tu n'avais pas été là, j'aurais probablement fait plus de dégats ! J'aurais du faire attention, si je m'étais forcée à me souvenir où je l'avais déjà vu... ça ne serait pas arriver ... ça n'aurait jamais du arriver...

Elle éclata en sanglots, une raffale d'émotions qu'elle avait du canalisé pendant qu'elle se taisait.

Elle s'arreta et essaya de parler. Elle lui montra le collier.
- Ca appartenait à ma mère ...

Il fut un instant déconcerté de ne pas s’être retrouvé au tapis plusieurs mètres plus loin après la gifle d’Ykalli. Il avait encore en tête l’image de cette jeune adulte, d’au moins son âge à lui, dotée d’une force surhumaine.

- T'es qu'une espèce d'idiot !! Si tu n'avais pas été là, j'aurais probablement fait plus de dégâts ! J'aurais du faire attention, si je m'étais forcée à me souvenir où je l'avais déjà vu... ça ne serait pas arrivé ... ça n'aurait jamais du arriver...

Elle fondit tout à coup en larmes devant lui. Pendant près d’une minute, il fut complètement déboussolé, alors qu’elle était littéralement affalée par terre, essayant en vain de contenir ses pleurs. C’était la première fois dans toute sa vie qu’il ressentait ça. Une émotion inconnue. C’était un peu comme si c’était lui qui pleurait (bien qu’il ait certainement déjà pleuré toutes les larmes de son corps). A quoi ça pouvait bien rimer ? Comme si tout à coup il se sentait faible. D’ailleurs il n’aurait jamais pensé la voir un jour si vulnérable, cette fille qui avait terrorisé la capitale et failli le tuer.

Elle essaya alors de parler, tout en retenant ses sanglots. Elle renonça finalement et lui montra le collier qu’elle avait ramassé, avant de se calmer et d’ajouter :

- Ca appartenait à ma mère…

A sa mère ? Mais alors… Non, d’abord il fallait être sûr.

- Mais où est-ce que tu l’as eu ? Tu as rencontré ta mère ? Tu ne l’avais pas à Nirn. Comment est-ce que ce truc est tombé entre tes mains ? Il faut que tu m’explique… Comment ça se fait que ton esprit se soit divisé en deux ? A quoi est-ce qu’il sert vraiment ce machin ? Dans quel but est-ce qu’il a été créé ?

- Mais où est-ce que tu l’as eu ? Tu as rencontré ta mère ? Tu ne l’avais pas à Nirn. Comment est-ce que ce truc est tombé entre tes mains ? Il faut que tu m’explique… Comment ça se fait que ton esprit se soit divisé en deux ? A quoi est-ce qu’il sert vraiment ce machin ? Dans quel but est-ce qu’il a été créé ?

Toutes ces questions d'un coup l'avait un peu déconsertée, et lui avait fait oublié le choc émotionel qu'elle venait de passer.

Elle essuya les restes de larmes sur ses joues, souffla un bon coup et commença.

- Je ne vois pas trop en quoi ça peut t'être utile mais au point où j'en suis.
-Oui, c'est vrai je ne l'avais pas en arrivant ici, je ne me souvenais même pas l'avoir déjà vu. Je l'ai troqué à un marchant ambulant, je n'aime pas trop les brolocs mais j'avais été intriguée par ce collier.
Je me suis souvenue quand j'ai vu le reste de brume noire dans ta fiole.

Elle fit une pause et reprit.
- Je crois qu'à cette époque, j'étais faible et malade et ma mère s'occupait de moi. Je ne rapelle plus de son visage, j'ai juste vu son sourire inquet et elle me mettait se pendentif. Il m'a toujours appartenu mais je ne me rappelle pas quand je m'en suis séparée.
En tout cas je connais parfaitement sa composition.
Les plumes noirs servaient à canaliser le surplus d'émotions, on dit que des fragments d'obscurité y sont enfermés.
L'ambre guérissait ou plutôt évitait à la personne de trop souffrir en absorbant une partie.
L'orichalque qui maintient les deux en équilibre, actionne aussi aléatoirement ces facultés selon les besoins du poccesseur.

- En ce qui concerne ma division de personnalité... je crois plutôt que c'était ... moi.
Je crois que l'orichalque a été modifiée, ma véritable apparence est allée avec mes sentiments de haine et de vengeance et mon apparence actuelle avec mes souvenirs.

Elle s'arrêta, n'étant plus vraiment sûre de ce qu'elle disait.

Elle avait donc hérité de ce pendentif lorsqu’elle était malade… La plume de noire et l’ambre gouvernés par l’orichalque… L’orichalque modifié aurait alors en plus la faculté de diviser la personnalité ?

- Est-ce que… tu te rends compte de ce que tu possède ? Ceci est certainement une des armes les plus puissantes et les plus dangereuses qui existe. Tu dis que ta mère te l’as donné alors que tu étais malade… Cela pourrait signifier une autre capacité : celle de guérir ?

Elle en connaissait beaucoup sur ce collier. Si elle apprenait à s’en servir, elle deviendrait alors pratiquement invincible ! Et si jamais il tombait entre de mauvaises mains… Ca serait terrible. Ou… si jamais Ykalli elle-même tournait à l’obsession pour ce collier ? Qui sait ce qu’elle pourrait en faire, puisque c’est à elle qu’il revenait ? Il se surprit à se poser cette question, car il était mal placé pour ça. En effet, qui avait fait sauter des centaines de soldats ? Qui avait égorgé son père ? Qui avait passé trois ans de souffrance ? Qui avait eu un tel désir de vengeance qu’il en était venu à vouloir tout détruire, tuer tout le monde ? En y repensant… C’est fou ce qu’il avait pu… changer ? C’était peut être ça. En si peu de temps… S’il avait quelque peu changé, il restait cependant des vestiges de son ancien « lui ». En effet la première chose qui lui vint à l’esprit après le récit d’Ykalli fut le massacre de Julnia’Yrii, comme celui de tous les empereurs, Less’Kilerr le premier, et qui sait, peut être qu’une fois ça réalisé, le champ serait libre à la reconstruction de Guilduiss ? Mais ils n’en étaient pas encore là, et c’était à elle qu’il appartenait de décider.

- Et maintenant… Qu’est-ce que tu comptes faire ? De toute façon je ne te lâcherais plus maintenant.

- Est-ce que… tu te rends compte de ce que tu possède ? Ceci est certainement une des armes les plus puissantes et les plus dangereuses qui existe. Tu dis que ta mère te l’as donné alors que tu étais malade… Cela pourrait signifier une autre capacité : celle de guérir ?

Guérie ? non, elle ne se souvenait même pas de la douleur de sa maladie, elle ne se souvenait pas avoir souffert.
Ou alors elle est comme tout ce qui concerne son passé, enfermée et très bien cachée.
Mais une chose la gêne, son apparence pour son âge. Sa famille a toujours eu des traits jeunes mais pas au point de garder une apparence totalement décalée avec leur âge ! Aurais-ce finalement un lien ?
Elle fut coupé dans sa réfléxion.

- Et maintenant… Qu’est-ce que tu comptes faire ? De toute façon je ne te lâcherais plus maintenant.

Que faire ? Bonne question.

- Je ne sais pas, j je ne sais plus ... je dois ... juste atteindre mon but coûte que coûte.
Une lueur de détermination flottait dans ses yeux.

Elle se retourna vers Orkin, un peu remontée.
- Je vais continuer mon chemin ... et comme tu as dit que tu m'accompagnerais, tu seras mon serviteur !
Ykalli semblait s'enfflammée.
- Je ne supporte pas l'idée que tu es pu me surpasser ne serait-ce qu'un millième de seconde !!

A ces mots il eut un sourire sadique, et lui lança :

- Compte là-dessus.

La matinée passa sous la pluie, ils mangèrent ce qu’Orkin était allé chercher au marché (ils avaient de la chance, tout le monde remballait à cause du mauvais temps), puis ils empaquetèrent des restes, des provisions et les quelques « poissonpains » qu’il restait à Ykalli. Ils quittèrent la ville en début d’après-midi, encouragés par un soleil qui perçait enfin le ciel nuageux de quelques rayons. Ils eurent même droit à un arc en ciel.

- On a la chance avec nous, aujourd’hui.